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mardi 8 avril 2014

In Salah : “Venez voir comme nous vivons encore au moyen-âge !”



In Salah, un nom qui évoque à lui seul la fortune, la richesse, le gaz naturel et ses revenus en Dollars et en Euros. In Salah, c’est une invitation au rêve pour les compagnies pétrolières qui veulent booster leurs bénéfices. Mais In Salah, pour ses habitants, c’est une autre réalité. Plus amère, plus dramatique, une réalité qui ne fait ni rire ni rêver.

In Salah, une petite ville située à plus de 1260 Km au sud de la capitale Alger, est loin de toute espérance. Son isolement dans le désert pétrifié de Tidikelt est tout sauf symbolique. Des routes défoncées, un aéroport minuscule, des pistes ensablées, des maisons colorées mais vétustes et des habitants qui errent dans des ruelles poussiéreuses, le décor planté à In Salah inspire rapidement l’inquiétude. Une caserne au milieu de la ville, des troupes qui circulent régulièrement pendant la journée, des enfants qui courent pieds nus, des jeunes désœuvrés qui rasent les mûrs jaunâtres, In Salah ne respire guère la joie ni la richesse ou l’aisance.
Pour les 18 mille habitants de cette Daïra qui regroupe autour d’elle pas moins de 7 douars environnants, le quotidien rime avec rudesse, précarité et frustrations. Et pourtant, pas moins de 33 puits de gaz naturel sont exploités dans toute cette région par la compagnie Sonatrach et ses partenaires étrangers, BP, Statoil, Petrofac et d’autres. Des puits et des gisements de gaz qui font gagner des milliards de dollars. Cependant, à In Salah, cette richesse, on en entend parler, mais on ne la voit jamais !
“Il faut du changement” 
Alors que ses terres abritent des richesses inestimables, les habitants d’In Salah ne disposent d’aucun jardin public, parc d’attractions ou d’un centre commercial digne de la modernité. Pour échapper à la chaleur infernale de la saison estivale, la température dépasse facilement les 56 ou 57e, les jeunes de cette ville située au cœur du Sahara n’ont qu’une seule piscine datant de l’époque coloniale ! Elle a été à peine rénovée et renforcée. Le stade communal date lui aussi de l’époque coloniale même s’il a été un peu modernisé et réaménagé. Une seule Maison de Jeunes sert de refuge pour les jeunes de la localité en quête de divertissements.
«A In Salah, on ne compte que sur soi. Personne ne pense à nous. Ici, on se réveille le matin sans jamais savoir ce que l’on va faire de sa journée». Ces mots sont de Ben Khira Saïd. Ce jeune 25 ans a fondé avec de ses amis un groupe de musique appelé Tikoubawin. Saïd adapte les chants ancestraux de la culture targuie aux sonorisations de la guitare électrique et à leurs aspirations de jeunes en 2014. Mais pour chanter et composer à In Salah, il faut avoir un grand courage et, surtout, une énorme motivation.
Dans ses yeux noirs, Saïd cache un profond désespoir qu’il tente de dépasser par sa musique. Une chanson, puis une autre, un rythme endiablé et quelques mélodies pour oublier, ce qu’il appelle, sa condamnation de naître à In Salah, au milieu de nul part et sur des immenses gisements gaziers. «Notre troupe a gagné le premier prix du festival de la chanson amazighe en 2013. Nous avons réussi cette performance alors que nous n’avons aucun matériel. Des mécènes nous ont aidé. Mais ni la direction de la culture ni les responsables de la wilaya n’ont voulu nous tendre une main amicale. Et pourtant, nous n’avons pas demandé du gaz ou du pétrole, mais juste de la considération», s’indigne notre interlocuteur sur un air où la déception se mélange avec la révolte pour donner naissance à un état d’esprit que peu de personnes arrivent à saisir tant la complexité de la vie à In Salah est difficile à décrypter.
Qu’en est-il donc du 17 avril prochain ? «Il nous faut du changement. Mais qui va l’incarner ? Je ne le sais pas», confie encore notre musicien au regard ténébreux et au verbe enragé. Le changement ? Une nécessité existentielle pour Mohamed Zizah, un cadre trentenaire, pneumologue de formation, qui a étudié au nord pour revenir développer sa région.
«Nous sommes les victimes d’une politique de discrimination insupportable. Comment peut-on accepter qu’une région aussi stratégique qu’In Salah est reliée par un seul vol hebdomadaire à la capitale Alger !», s’étonne ce citoyen qui fait ouvertement campagne pour le candidat Ali Benflis. «In Salah en a marre du statut-quo. Allez voir dans les autres douars comment les habitants vivent.  Nous sommes encore au Moyen-âge en dépit de toutes les richesses de notre sol», assure-t-il avec un regard colérique que ses lunettes ont du mal à cacher.
Un seul gynécologue dans la ville et une eau salée 
Avec un seul gynécologue dans un service de maternité où tout manque dans  le seul établissement hospitalier de la ville, les habitants ressentent chaque jour cette discrimination dont ils sont victimes. Et encore, quand on est diabétique ou hypertendu, il faut aller parcourir des centaines de kilomètres pour trouver un médecin spécialiste. «A In Salah, si ton cœur te cause des soucis, il faut aller jusqu’à Ghardaïa pour trouver un cardiologue. La route est si longue que le patient risque d’y mourir. Pour une femme qui accouche, en cas de complication, il faut aller jusqu’à Tamanrasset à 720 km d’ici !», raconte notre interlocuteur dans une longue tirade où il énumère toutes les anomalies, les privations et les manques dont souffrent ses compatriotes à In Salah.
Des anomalies et des injustices qu’on ne peut plus compter tellement elles sont nombreuses, grossières et humiliantes. En 2014, In Salah a toujours soif en dépit de son immense nappe phréatique. Comme l’eau est salée, il est nécessaire de la traiter pour la purifier. Mais la région dispose d’une seule  station de dessalement offerte par un groupement de compagnies pétrolières. Il en faut d’autres encore. Les autorités ont fait des promesses. Et les promesses tardent à se concrétiser. Le 17 avril prochain, In Salah se rappellera très bien de toutes ces promesses jamais tenues…

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