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jeudi 27 mars 2014


Tlemcen, centre de gravité du pouvoir algérien?

L’Auteur

fellabouredji

Un Président, une quinzaine de ministres et plusieurs hauts gradés de l’Etat sont originaires de Tlemcen. Une ville presque refaite à neuf. En dix ans, elle est devenue un berceau du pouvoir. Du moins en apparence. Cinq jours dans la ville, pour y voir un peu plus clair.

VENDREDI : Des rencontres, des préjugés et des questions

Djazaïr lefaâ, rasseha Tlemcen (L’Algérie est un serpent, Tlemcen est sa tête». Comme beaucoup de Tlemcéniens, Selma, 29 ans, fonctionnaire dans une banque déteste cette expression :
«Beaucoup de gens disent ça. Je la vis comme une violence. Il faut arrêter de focaliser sur Tlemcen, on n’a pas le pouvoir, on a juste des hommes au pouvoir.»
A la tête de ces hommes au pouvoir dont parle Selma, le président-sortant, Abdelaziz Bouteflika, né à Oujda (même si son lieu de naissance est censuré dans toutes ses biographies officielles), mais qui se revendique de Tlemcen, de Nedroma plus précisément.
Depuis sa première élection à la tête de l’Etat il y a 15 ans, il a nommé plus de 15 ministres originaires de Tlemcen. Il a également placé des personnalités politiques de la région dans les institutions clefs du pouvoir. Entre autres, Mourad Medelci à la tête du Conseil constitutionnel, Abdelkader Bensalah au Conseil de la Nation, le Général Hamel à la DGSN (Police nationale).
«Ce n’est pas forcément du régionalisme politique, il s’entoure de personnes en qui il a confiance», justifie Ahlem, une autre jeune Tlemcénienne.
Les origines sont-elles un critère pour accéder aux commandes de l’Etat ? Elles l’étaient déjà à l’époque où les centres de décision gravitaient autour des BTS (Batna, Tébessa, Souk Ahras). Elles le sont encore plus que jamais.

SAMEDI : Un tour dans la ville et déjà des réponses

«La confiance est un critère, mais ce n’est pas étonnant, Tlemcen a toujours été la plaque tournante de la politique algérienne, elle a enfanté Ben Bella, Messali El Hadj», souligne pour sa part Boumechra Abdelhak, député TAJ à Tlemcen.
Mais l’homme, qui a plus de 20 ans d’activisme politique derrière lui, ne pense pas pour autant que Tlemcen ait été favorisée sous le règne de Bouteflika.
«Tous ces ministres issus de la région n’ont rien fait pour la ville !», ajoute-t-il.
Elle a pourtant changé de visage. Sur un panneau géant, une photo du président Bouteflika datant du temps où il avait encore la forme : sur un fond tricolore (rouge, vert et blanc) se dessine le palais El Machouar et une vue imprenable sur Tlemcen. L’affiche coupe la vue qui donne vers les bâtiments jaunes du quartier El Koudia, à l’entrée de la ville. En contrebas, sur la route, les voitures roulent en trombe pour se rapprocher du centre-ville.

Quelques mètres plus loin, une autre affiche géante du Président, accrochée sur un immeuble : cette fois, Bouteflika apparaît avec une petite fille portant l’habit traditionnel tlemcénien, ‘‘el chedda’’. Il y en a une bonne dizaine à travers la ville. Le ton est donné. Bienvenue à Tlemcen, fief de Bouteflika, la ville autour de laquelle le glissement du pouvoir de l’est vers l’ouest s’est opéré. En l’espace de quelques années, Tlemcen est devenue un centre du pouvoir. Ou du moins en apparence.

DIMANCHE : Une coquille vide et les prémisses de la déception

Au centre-ville, plusieurs chantiers et de nouvelles infrastructures. Tlemcen aurait bénéficié d’une enveloppe de 10 milliards de dollars, selon les indiscrétions recueillies dans un câble Wikileaks datant de 2009. En abritant la manifestation «Tlemcen, capitale de la culture arabe», en 2011, c’est encore d’autres gros budgets qui sont alloués à la ville.
«Tlemcen a bénéficié de beaucoup d’infrastructures pour en faire la vitrine de l’Algérie de l’ouest, mais je ne crois pas que ce soit la ville du pouvoir ; si la ville a bénéficié de gros changements, c’est l’affaire d’un homme qui s’est investi dans cette cause», explique Mohamed Medjahdi, journaliste et auteur d’un ouvrage consacré à la ville.
L’homme dont parle Mohamed Medjahdi est Abdelwaheb Nouri, wali de Tlemcen de 2004 à 2012, un homme autant décrié qu’adulé par ici. Comble de l’ironie, cet homme qui a fait de Tlemcen ce qu’elle est devenue en chapeautant plusieurs nouveaux projets est originaire de l’est du pays. Les changements qu’il a opérés sont loin de faire l’unanimité.
Pour Hammoudi Falah, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) à Tlemcen, «c’est justement parce que tous les projets attribués à la ville ne profitent pas au citoyen, ils n’ont aucune influence directe sur leur quotidien», explique-t-il. «Sièges de daïra et de wilaya refaits à neuf. Un palais de la Culture sans culture, un palais de la Justice sans justice», énumère l’homme qui ne prend aucune position politique. «Tlemcen ville du pouvoir, c’est un mythe infondé, d’autant que la majorité de ces hommes politiques originaires de la région n’ont jamais habité ici», conclut-il.

LUNDI : les langues se délient et la colère pointe

A 520 km au sud-ouest d’Alger, sur un replat à 800 mètres d’altitude, adossé au plateau rocheux de Lalla Setti, Tlemcen est plus facile d’accès depuis le lancement de l’autoroute Est-Ouest. Les automobilistes ont gagné 4 heures pour se rapprocher du véritable centre de gravité du régime, Alger.
Plus d’un million d’Algériens vivent dans les 53 communes de la wilaya. Ils sont taxés d’ulta-conservateurs, de régionalistes et de proches du pouvoir. Pourtant, dans les faits, ils sont loin d’être mieux lotis que le reste des Algériens.
«On ne sent pas ce pouvoir. Ils n’ont rien fait pour la ville hormis quelques changements de façade», tranche Djallal, la trentaine, cadre dans une multinationale, revenu à Tlemcen, sa ville natale, après 7 ans passés dans la capitale.
«D’abord, Bouteflika n’est pas vraiment tlemcénien, il est né à Oujda et sa famille vient de Nedroma», tient à souligner le jeune homme qui, pour la première fois depuis 15 ans, ne votera pas pour le Président-candidat. «Sa famille n’est pas reconnue comme faisant partie des grandes familles tlemcéniennes», ajoute-t-il encore, avec une pointe d’orgueil et beaucoup de déception.
Le Président adulé durant ses premiers mandats est de plus en plus contesté dans la région. La désillusion est palpable.

MARDI : Les manigances politiques et l’opposition

«Tlemcen, centre du pouvoir ? Je ne pense pas, sinon on l’aurait su», ironise une dame qui quitte la rue de Paris en direction d’El Machouar, cœur historique de la ville. Son passé prestigieux est sur toutes les lèvres.
«On préfère parler de ça», ironise Selma, la banquière, dans un sourire. «Les Tlemcéniens sont fiers de leurs origines».
Une fierté à l’orée du régionalisme, qui ne fait que l’effleurer parfois, qui tombe droit dedans d’autres fois. «Comme ailleurs dans le pays», corrige, à juste titre, la jeune femme. Le fait que le Président soit de la région n’aurait-t-il pas exacerbé cette fierté ?
De l’avis de Naceredine Mesli, membre du conseil national du RCD, président régional du parti, «il y a manigance politique à ce sujet. On ne peut pas nier à Bouteflika ses origines, bien qu’il soit plus représentatif du clan d’Oujda, mais je pense qu’il a choisi Tlemcen pour se créer un ancrage.» Pour ce militant politique, Tlemcénien de souche, ce choix est stratégique et loin d’être émotionnel. «Il permet à Bouteflika d’avoir une assise idéologique et historique», assène-t-il avec conviction.
A «El Plass», placette du centre-ville de Tlemcen où plusieurs sièges d’institutions officielles sont installés, les va-et-vient sont incessants et les gens vaquent à leurs occupations, loin de ce genre d’interrogations.
«On ne s’intéresse pas à la politique», lâche un jeune assis sur un banc faisant face au siège du FLN qui vient d’être recouvert de portraits géants de Bouteflika, à j-4 du début officiel de la campagne. «On a d’autres chats à fouetter», avance le jeune chômeur sans bouger.
Ici, le mythe qui s’est construit autour de la ville semble dérisoire et les chômeurs, nombreux, attendent comme ailleurs dans le pays.

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