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mardi 1 janvier 2013

LE QUOTIDIEN D'ALGERIE » Quel pays allons-nous léguer aux générations futures ?


Quel pays allons-nous léguer aux générations futures ?

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Benyoucef Badreddine
1_// Le secteur agricole a été marqué durant l’année 2012 par plusieurs évènements, à commencer par la hausse des prix à l’importation, l’Algérie étant un grand importateur de produits agricoles de large consommation comme les céréales, le lait ou les oléagineux. Dans ces conditions, n’est ce pas la sécurité alimentaire qui se fragilise un peu plus en Algérie ?
Sécurité alimentaire dites-vous ??? Je précise pour ma part en parlant de dépendance alimentaire qui avilit chaque année notre pays. Je suis triste d’avoir vécu de mon vivant la descente en enfer de l’agriculture algérienne. Il est vrai que les responsables qui ont géré ce pôle nourricier n’ont qu’un seul argument valable matérialisé par une croissance démographique au triple galop. Il y avait 9 millions d’algériens en 1962 et on parle d’ici peu de 40 millions d’âmes. Aucun pays au monde n’a vu sa population quadrupler en 50 ans. Pour l’exemple, la population française en 1911 était de  40 millions d’individus. En 2012, elle n’est que de 65 millions d’âmes. Si la France avait vécu le même rythme de progression, on compterait en 2012 plus de 160 millions de Français !… Le rapport est énorme et justifie que les structures agricoles algériennes sont d’une façon endémique, essoufflées, et à bout de course. Mais, il n’y a pas que ce facteur limitant.
Force est de constater que les différentes politiques agricoles n’ont été qu’une succession de tâtonnements qui ont mené notre pays à cette situation où si les pays exportateurs de denrées alimentaires et en céréales en particuliers, pour une raison ou une autre[i], décidaient de ne plus vendre de blé à l’Algérie, sans nul doute qu’une famine ne serait pas exclue. C’est un constat qui fait froid au dos et ne semble pas préoccuper outre mesure les dirigeants du pays.  On se contente d’organiser une cérémonie pour fêter le club des céréaliers qui ont réussi « la prouesse de réaliser 50 quintaux à l’hectare ! »… Sans incriminer personne, ce rendement est normal, on réalise dans la plaine de la Beauce des rendements record de 120 quintaux à l’hectare. Pour faire court, si les 3,5 millions d’hectares dévolus aux céréales chaque année produisaient chacun 50 quintaux, le pays deviendrait exportateur de cette denrée et ferait de l’Algérie le fer de lance des pays émergents!… Des âmes biens nées me prendront pour un utopique. Je ne suis qu’un acteur qui a vécu dans sa chair la déstructuration planifiée de l’agriculture algérienne.
Alors, vous comprendrez que les prix agricoles vont continuer leur course folle vers des cimes où, pour ne prendre qu’un exemple, l’œuf, « viande du pauvre », s’écoulait en Algérie à 0,40 centimes en 1989, caracole en 2012 à plus de 12 dinars. Et ce n’est pas fini, on chuchote sous peu 20 dinars l’unité !…

2_// Et sur le marché international, quelle serait la tendance de la disponibilité et des prix des matières premières agricoles durant 2013, tenant compte des paramètres comme la crise  économique en Europe, le changement climatique, les prix des produits énergétiques, etc. ?
Le postulat est simple et ne souffre d’aucune ambigüité. Les intérêts et les plus préoccupations des uns et des autres sont diamétralement opposés. Alors que des pays souffrent de malnutrition, où la famine menace, d’autres pensent occuper les terres fertiles en cultures destinées à produire  du carburant pour faire fonctionner leurs berlines. Ces cultures viennent en concurrence avec les produits de base nécessaires à la survie de millions de personnes. Les intérêts sont divergents à tel point que l’on arrive à déplacer le curseur de la notion même du développement. Cette dichotomie va aggraver encore les échanges économiques et principalement celui des denrées agro-alimentaires. Sans nul doute que 2013 s’annonce, à mon point de vue, très difficile, voir catastrophique. La mercuriale des céréales de Chicago ne se base plus sur les besoins des pays demandeurs de denrées alimentaires mais se préoccupe en premier lieu de trouver un dérivatif au pétrole qui empoisonne les relations internationales. Dans un avenir proche, les pays qui domineront le monde seront ceux qui auront acquis l’arme verte avec laquelle ils dicteront les nouvelles bases du commerce international. Le pétrole ne perdurera pas longtemps dans sa position actuelle. Hélas, je crains que les prix du pétrole vont s’effondrer à terme, dopés come ils le sont par la mésentente chronique des pays explorateurs de cette énergie non renouvelable.  
La conséquence serait un dérèglement total de la demande alimentaire mondiale en oléagineux et en céréales. On assiste déjà en Chine et en Inde à des importations accrues d’oléagineux ; graine et huile et cette tendance va provoquer une hausse inévitable des prix de ces denrées.
L’Algérie, parent pauvre et importateur endémique, a des soucis à se faire. Les viandes blanches vont subir, c’est déjà le cas, le contre coup de ce dérèglement. Des faillites dans le secteur, ne sont pas à exclure. 
3_//Dans le cadre de la coopération internationale, l’agriculture a figuré
parmi les secteurs concernés par les accords de coopération signés entre
l’Algérie et la France lors de la visite du président Hollande à Alger.
Les Français sont-ils réellement prédisposés à contribuer au développement
de l’agriculture algérienne alors qu’à présent, elle le principal marché
africain pour le produit agroalimentaire français ?
De la poudre aux yeux et surtout une immense arnaque. Pour avoir collaboré un temps avec une société exportatrice de céréales vers l’Algérie, pour ne pas la citer « Delta Céréales »,  je peux d’ores et déjà annoncer que le seul souci de nos partenaires français est nous vendre ce que nous consommons en céréales. C’est une honte. L’enjeu frôle tout de même les 5 milliards de dollars par an !… Ce n’est pas négligeable.  Il serait, à mon sens, plus utile de leur proposer des contrats gagnant-gagnant. Pourquoi ne pas inviter des céréaliers de terrain à venir en Algérie pour tenter de dupliquer les techniques culturales qui ont cours en métropole. On assiste depuis quelques années à une nouvelle technique qui semble faire ses preuves, le semis direct sans labour. C’est une avancée gigantesque dans ce domaine. Plus besoin de meurtrir chaque année le sol sur 50 centimètres avec des engins difficiles à trouver en Algérie. On ameublit que l’endroit exact où sera déposée la graine et on ne perturbe pas la richesse humique du sol. Les céréaliers français savent faire cela et ce n’est pas du tout utopique de réaliser un tel projet. A la place, on a assisté cette année à une visite de patrons français venir nous déclamer que :  » si l’Algérie a besoin de céréales, on sera toujours là !... » Un dicton chinois doit nous inspirer pour clore cette question : « Ne me donnez pas de poisson, apprenez-moi plutôt à le pêcher… »
4_// La politique de renouveau agricole et rural mise en œuvre en 2009,
elle aussi, vient de boucler sa 4ème année. Quelle en est votre
appréciation ?
Nous avons tous pris note du communiqué présidentiel qui a été émis lors de la de la Conférence Nationale sur le Renouveau Agricole et Rural, le 28 Février 2009, à Biskra. Les trois piliers de cette recommandation s’articulaient sur trois points névralgiques :
Le Renouveau Agricole,
Le Renouveau Rural,
Le Renforcement des Capacités Humaines et de l’Appui Technique aux producteurs.

Force est de constater encore une fois que la réalisation sur le terrain laisse à désirer. De renouveau agricole, on a perçu que des balbutiements synonymes de coups d’épée dans l’eau. On a juste tenté d’officialiser le bradage des terres agricoles au profit de nouveaux spéculateurs qui gravitent autour du foncier agricole. Une information récente fait état de dilapidation de 300 hectares de terre arable à Sétif pour ériger une boulangerie industrielle, un hôtel et une station service. Des centaines d’autres hectares de très fertiles terres des plaines de la Mitidja, d’Annaba, du Chlef et d’ailleurs vont recevoir le programme d’habitat et des équipements sociaux y afférents.  C’est un crime qui est commis à l’égard des générations futures d’Algériens.  

On a également officialisé ce que j’appelle un vol caractérisé. Les bénéficiaires des anciennes E.A.C[ii] et E.A.I peuvent désormais céder les terres légalement et surtout dans un cadre qui relève de l’imposture, un acte individuel inséré dans une propriété collective. Il n’y a qu’en Algérie que l’on trouve une telle bizarrerie politique. On va assister dans les années à venir à de réelles tensions dans le monde rural. Un exemple récent vient de nous rappeler la triste réalité. il s’agit du secteur privé stratégique qui a également son importance dans le monde rural. Les anciens agriculteurs qui nous quittent laissent le plus souvent une descendance désintéressée par l’agriculture. L’appel de la ville est trop fort et les vocations      se diluent dans le temps. A Hassi Mamèche, des héritiers ont cédé pour 30 millions de dinars 2 hectares de terre arable à un promoteur. Dès que le bulldozer a commencé sa triste besogne, tout le village s’est soulevé. Il n’est pas exclu que l’on assiste dans les années à venir à des jacqueries importantes dans nos campagnes. Et cela ne semble pas préoccuper outre mesure les gestionnaires de l’agriculture algérienne. Alors, vous comprenez que le renouveau rural peut encore attendre quelques décennies !…

Pour le renforcement des capacités humaines et l’appui technique aux producteurs, cela se résume à quelques journées de vulgarisation menées par des hommes de terrain dévolus à la tâche mais ils ne feront que défoncer des portes ouvertes. L’agriculteur algérien ou autre, a bien sûr besoin d’être assisté techniquement mais l’important est la logistique et l’opportunité de son apport à un moment précis de la campagne agricole. Lorsqu’il faut  constituer un dossier d’une tonne pour obtenir des crédits de campagne, lorsqu’il est nécessaire de se faire assister par une ponte pour obtenir un crédit, les vulgarisateurs ont beau tenter de passer un message technique, il se diluera dans l’air du temps comme se sont diluées toutes nos chimères.  

5_// Durant cette année qui vient de s’achever, le ministère de tutelle a
annoncé plusieurs projets d’investissement dans le secteur, notamment en
matière d’irrigation ou dans le cadre de la politique de développement
rural. Peut-on dire que l’agriculture algérienne entame sa phase de
relance ?

L’agriculture algérienne est, depuis 50 ans, dans sa phase de relance. C’est à croire qu’elle peine à démarrer !… Deux problèmes perdurent et constituent des freins évidents à toute prétention de relance. On avait identifié dans une précédente intervention le problème du foncier. Tant qu’il n’y aura pas de politique cohérente sur ce point, on aura beau tenter de relancer le secteur, le résultat sera toujours déficient. J’en arrive à me dire pourquoi l’Etat algérien ne décide pas tout simplement de vendre toutes les terres agricoles. Ce serait la solution idéale. Je ne comprends pas ce qui freine une telle idée. L’a-t-on eu au moins ? Bien sûr il faudra encadrer cette action en définissant par avance les terres arables qui seront inscrites dans le marbre pour des générations et interdites à toute construction non agricole. L’Etat algérien finira par choisir cette option qui réglera définitivement ce problème. Et de plus, le produit de la vente garantira à n’en pas douter, le financement de quelques années de fonctionnement. Ce n’est pas négligeable et je serais ravi d’apprendre une telle nouvelle.
Le second frein est une conséquence logique du précédent. Il s’agit du statut de l’agriculteur. La mentalité algérienne est singulière. L’agriculteur, le paysan, le fellah, le berger, ont constitué de tout temps une frange de la population algérienne considérée comme mineure et ne pouvait avoir de prétention d’accès à une quelconque amélioration du bas niveau de vie qui a toujours singularisé le rural algérien. C’est une idée obsolète, délétère et tant qu’elle perdurera dans la société algérienne, le pays restera toujours tributaire de l’étranger pour ce que nous consommons. Observons les pays détenteurs de l’arme verte. L’agriculteur est très souvent le maître du village. Il est souvent député, maire ou même sénateur. L’exploitant céréalier du Middle East américain ou le producteur de canne à sucre du Matto Grosso au Brésil sont des personnes qui comptent dans le paysage politique. A titre d’exemple, au Brésil, pays émergent, l’agriculture représente 5,1 % du PIB du pays et employait 13,8 % de la population en 2005. Dans ces pays, les banquiers font antichambre dans les bureaux de ces agriculteurs pour placer leurs fonds dormants dans les coffres de leurs banques, alors qu’en Algérie des porteurs de projets stratégiques pour le pays se sont vus refuser un simple entretien avec le PDG de la BADR. Ou bien une autre banque installée sur la place d’Alger, plus perfide, leur avait fait miroiter une acceptation d’une ligne de crédit importante à condition qu’ils implantent le projet sur les terres d’une grosse ponte du régime…
A la place de tout cela, on exhibe fièrement une exportation de dattes dont la participation au PIB est insignifiante. On parle d’exporter sous peu du concentré de tomates. Il n’y a pas plus facile que de produire de la tomate et si l’Espagne nous envahirait avec sa production, le déluge investirait notre beau pays !… De qui se moque-t-on ?
6_// …2012, c’est aussi l’année où l’IGF (inspection générale des
finances) s’est lancé dans des enquêtes sur les subventions allouées dans
le cadre de soutien de l’Etat aux produits agricoles de large
consommation. Qu’en pensez-vous ?
Le jour où cette enquête dévoilera les vraies saignées qui ont été provoquées par une telle forfaiture n’est pas encore arrivé. Les Fonds dévolus au PNDRA se sont envolés et ne sont pas prêts à être remboursés. Les auteurs de cette gabegie ne seront nullement inquiétés. Ceux seront toujours les lampistes qui  trinqueront. Alors que le Président de la République avait déclamé solennellement l’effacement des dettes des agriculteurs, de pauvres hères sont actuellement menacés pas la B.A.D.R pour rembourser des clopinettes.. Comme toujours, la poudre de perlimpinpin viendra saupoudrer les yeux de l’opinion publique pour faire passer la pilule. A qui a profité l’effacement de la dette agricole ?  On assiste en fait à une fuite en avant vers un enrichissement supersonique d’une strate de la population, de privilégiés du système, qui investissent leur manne dans des pays « plus sûrs !… » On a l’impression que tous les acteurs économiques qui activent actuellement n’ont qu’une seule devise : « Après moi le déluge !… » Pour tout vous dire, je suis inquiet, à vrai dire très inquiet, pour notre pays.   


[i] Ce n’est pas une fiction et cela peut nous tomber sur la tête un jour.
[ii] Exploitation agricole commune et exploitation agricole individuelle.

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